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Décembre 2024

Sommaire

atelier atheneum

atelier atheneum

JOURNEE PORTES OUVERTES A LA S.P.A.

Mes parents m’ont appelé Robert. Déjà à l’époque, ça n‘avait rien d’original, un
prénom basique un prénom de vieux. Du coup, même bébé j’avais une tête de
papy.


J’aurais voulu au moins qu’on m’appelle Boby… Un Boby c’est mignon, ça a
une petite bouille, des bonnes joues rebondies, des fossettes même. Pas une
petite tronche fripée et renfrognée comme la mienne.
Plus tard j’aurais aimé qu’on m’appelle Bob. Bob, c’est un gars cool, qui fait du
sport, qui porte des polos et qui sort avec de belles blondes. Pas un gars comme
moi qui fait des études de comptabilité et qui est musclé comme un rat de
laboratoire anémié.


Au pire, j’aurais accepté qu’on me surnomme Bébert. Bébert c’est un gars
sympa, qui porte une casquette et qui boit des pastis avec ses potes après une
partie de pétanque.
Mais moi, Robert, je n’ai pas d’amis, et si je bois, c’est uniquement un petit
verre de guignolet, le dimanche midi, quand je vais déjeuner chez ma mère.
A mon travail, on m’appelle Monsieur Dubois. Personne n’utilise mon prénom,
D’ailleurs, il n’y a pas grand monde qui m’appelle. Je reste toute la journée le
nez dans mes factures et mes bilans. Ma meilleure collègue, c’est ma
calculatrice, mais sa conversation est limitée.


Pour mes quarante ans, maman a voulu organiser une petite fête. Elle a invité
mon frère avec sa femme et mes deux neveux. On a bu du mousseux avec le
gâteau. Et j’ai soufflé mes bougies. Mon frère m’a pris à part, il m’a dit
« Robert, tu ne peux pas rester tout seul comme ça. Il faut que tu te fasses des
amis, que tu prennes l’air, tu es tout pâle, on dirait une endive dépressive. Il faut
te prendre en main. Tu fais peine à voir. Bouge-toi ! » C’est facile pour lui, il a
cinq ans de moins que moins, il est grand, il est plutôt pas mal, et en plus, mes
parents l’ont appelé Jonathan. Il est tout ce que je ne suis pas
Il poursuit : « J’ai une idée : tu sais que les bébés sont des aimants à filles ! Moi
quand je promène Barnabé au parc, il y a sans arrêt des nanas qui se penchent
sur la poussette. Si tu veux je te le prête samedi après-midi ». Il se tourne vers sa
femme :

« Bernadette ! Robert à très envie de partager du temps avec son neveu. Il
propose d’aller le promener samedi. C’est une bonne idée, qu’en penses-tu ? »
Ma belle-sœur me regarde comme si tout à coup des cornes et une queue
fourchue m’avaient poussé sur le corps. « Ça va pas la tête ! Jamais je ne
confierai la prunelle de mes yeux à ton frère. Avec la tête qu’il a, on ne pourra
jamais croire qu’il est de la famille de mon magnifique bébé. Les gens vont le
prendre pour un pédophile et ils vont appeler la police si on laisse le petit tout
seul avec lui. Au pire, allez-y ensemble ».


Même si je suis un peu vexé, il faut reconnaître que Bernadette n’a pas tout à
fait tort. Ce n’est pas une bonne idée.
Mon frère ne lâche pas l’affaire. « Essaie d’adopter un animal alors ! Il y a une
journée portes ouvertes à la S.P.A. dimanche. Vas-y. Tu trouveras bien un
compagnon. Un animal, ça fait un sujet de conversation avec les gens, et puis
c’est bien d’avoir une présence à la maison. »


Après tout, pourquoi pas. Le dimanche suivant, je me présente à la porte de la
S.P.A. ; une jeune fille me demande quel type d’animal me plairait. J’avoue n’en
avoir aucune idée. Sur sa proposition, j’accepte de faire un tour des cages.
Je commence par les chiens. Plusieurs bestioles grognent quand je m’approche,
une ou deux me montrent même les dents d’un air menaçant. « Houlà, vous
n’êtes pas un homme à chiens vous, me dit la jeune fille. On va plutôt essayer
les chats. »


Nous avançons de quelques mètres. Dans des cages sont installés des félins, la
plupart nonchalamment installés sur des coussins. Ils me toisent de leurs yeux
obliques. « Regardez, voici Caline, me présente ma guide. Elle est très calme,
c’est juste ce qu’il vous faut. » Elle gratouille la tête de la chatte qui ferme les
yeux et ronronne de plaisir. « Essayez, me dit-elle. Faites connaissance. »
J’avance doucement la main vers la tête soyeuse. Qui se transforme alors en
démon furieux, crachant et éructant des sons aigus et très inamicaux dignes de
Jackie Chan.


Je me recule vivement avant que la bête ne me morde. On dirait bien que je ne
suis pas non plus un homme à chats. « Bon, je suis désolé mademoiselle, je vous
ai fait perdre votre temps. Je vais rentrer chez moi, déprimer tout seul. »
« Attendez, j’ai peut-être une solution. Nous avons un pensionnaire qui vient
d’arriver. Son précédent propriétaire est décédé, et nous l’avons sauvé d’une
euthanasie certaine. Je suis sûre que vous allez bien vous entendre. » Elle me
conduit dans une dernière pièce.

Et là, l’amour m’est tombé dessus. Le big bang. Les papillons dans le ventre
comme dans les films. Mes yeux se noient dans les siens, globuleux, un peu
écartés. J’entends une musique céleste qui tinte à mes oreilles quand il fait un
tour complet de son bocal avant de se retrouver face à moi et d’ouvrir sa bouche,
deux ou trois fois et de laisser un chapelet de bulles s’en échapper.


« Il s’appelle Bubulle. C’est un nom qui manque cruellement d’originalité pour
un poisson rouge, mais vous pouvez le changer si vous voulez. »
« Non, je ne le changerai pas : Bubulle c’est parfait. Je ne suis pas moi-même
quelqu’un d’original. Nous sommes faits l’un pour l’autre. »


On me l’a mis dans un sac en plastique transparent, et nous sommes partis tous
les deux heureux et unis pour la vie.

Du côté de chez Proust

Du côté de chez Proust

Cher Marcel,


Moi aussi longtemps je me suis couchée de bonheur.


Il faut dire que c’est moi, au début de mon embauche, qui faisait le ménage, tôt le matin avant
l’ouverture, dans le salon de coiffure de cette petite ville près de Macon où j’habite.
Vous savez, vous si fragile, combien c’est important la propreté dans un tel endroit, pour la santé
mais aussi pour la considération des clientes qui viennent ici non seulement pour changer de tête
mais pour s’inventer une autre vie, le temps d’une couleur ou d’une permanente.
Bien sûr, mon salon ne ressemble pas à ceux que vous fréquentiez, mais quand même,
quelquefois il s’y échange des propos de belle tenue, notamment quand la femme du Notaire ou
celle du Docteur viennent se faire coiffer et nous racontent les spectacles qu’elles ont vus à Paris
ou les lectures qu’elles ont faites dans leurs cercles de la bonne société .On parle aussi
beaucoup frivolités dans ce monde de femmes que vous connaissiez bien et où vous vous
plaisiez à passer vos après-midis oisives.


Depuis que j’ai trouvé sur le comptoir de la boutique un de vos livres (entre parenthèses j’essaie
de mener l’enquête pour savoir qui a bien pu abandonner ici un tel chef d’œuvre), ma vie a pris
un autre sens. Je m’aperçois que je peux trouver dans ma vie de mêmes sources
d’émerveillement et de sujets de roman.
Par exemple, ma madeleine de Proust à moi, c’est la tartine de pain recouverte de beurre et de
chocolat râpé, que je mangeais les soirs où je rentrais de l’école, chez ma grand-mère qui me
gardait.


Ma mère travaillait tard au service du Marquis (non pas de Palancy !), celui qui a repris le manoir
de Milly, la maison natale de Lamartine. Les jeudis et parfois le samedi, petite, je l’accompagnais
et jouais dans les chambres, le salon, le parc pendant qu’elle faisait le ménage de cette grande
demeure, remplie d’objets anciens et de livres.
Votre monde m’apparaît ainsi comme familier, je peux m’imaginer dans le luxe des salons de
littérature où vous avez évolué, vivre les promenades du côté de Guermantes ou les séjours à
COMBRAY, mais aussi cette vie obscure quand vous vous échappiez le soir dans les rues de
Paris, comme dans les romans photos que je lis dans les magazines du salon.


Grâce à vous Marcel, je suis bien dans ma vie et maintenant le soir, votre livre dans mes mains,
je me couche toujours de bonheur, B.O.N.H.E.U.R.

                                                                                                                                          Albertine

simone
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