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Janvier 2025

Sommaire

Absurde, cycle 1 : 

Où l'on joue de la langue façon absurde, en clin d'oeil à Devos, Swift ou Ionesco...​

Absurde, cycle 1

La rate au court-bouillon 

Ne vous mettez pas la rate au court-bouillon ! Ou la ratte ???

Je suis allée voir mon psy. Il faut dire que j’en avais gros sur la patate depuis quelque

temps ! Purée ! Quelle salade dans ma tête !

Je me suis étendue sur son divan et sur mes problèmes.

Après les trois quart d’heure conventionnés, il m’a conseillé de relativiser, de prendre mon mal en patience, de faire la part des choses, de prendre de la hauteur, bref…de ne pas me mettre la rate au court-bouillon.

Je suis sortie perplexe…Ça n’allait pas être simple.

D’abord, je n’aime pas les abats : Tripes, rognons, cervelle et compagnie…très peu pour moi. En plus si j’ai le choix, je suis plutôt végétarienne. Ensuite, mes compétences en cuisine se limitent à sublimer au micro-onde, les bons petits plats du rayon des surgelés.

Alors pour les alternatives au court-bouillon, c’est pas gagné !

Mais après tout, dans la cité de la gastronomie, je devrais pouvoir m’en sortir. Je me suis inscrite à un cours de cuisine. Dès le début, je me suis fait une copine : Julienne, une timide qui se faisait toute petite en coupant ses carottes. Comme j’ai quand même du pot, ça s’est plutôt bien passé au début. La mayonnaise a bien pris entre moi et le chinois qui partageait mon plan de travail.

C’est avec la mandoline que ça s’est compliqué. J’ai vu le moment où j’allais aussi devoir m’inscrire au conservatoire. Et le bouquet…ça a été le lapin chasseur !!! En 2025 ! Mais on en a soupé des chauds lapins !

Après quelques semaines, j’ai rendu mon tablier. J’avais besoin de vacances, pour me re-concentrer sur les conseils du psy.

Je suis allée au Touquet, on m’avait dit que c’était très chic. Et là, par une belle après-midi ensoleillée, en me promenant sur le front de mer, alléchée par une franche odeur de friture, je les ai vues, longues et fines ou courtes et dodues, servies dans des cornets de papier….

Mais bien sûr !

A mon retour, je suis retournée chez le psy pour le remercier : « Merci docteur ! Grâce à vous, j’ai la frite ! »

Martine Clément-Burke

Comment il conduit lui ? Danger public va ! Je sens que je vais péter les plombs c'est sûr !
Quoi il insiste ? Je vais péter une durite si ça continue, c'est à moi de passer !
Mais il me regarde de haut dans sa belle voiture « Arrête de te la péter! » j'lui lance .
Et là je le vois pété de rire, l'a un pet' au casque ou quoi ?
Allez j'y vais, je passe sinon je vais péter un câble ; ce n'est pas parce qu'il veut péter plus
haut que son cul dans son Audi machin truc qu'il a tous les droits.
Mais non ! Ce n'est pas vrai , il me barre le passage, me pète les couilles !
Et puis tout à coup le voilà qui démarre en trombe sous mon nez aussi rapide qu'un pet sur
une toile cirée, accélère comme un fou et encastre lamentablement son bolide dans le mur
d'en face !
Paix à son âme !


Valérie Thévenot

DONNE MOI TA MAIN, ET PRENDS LA MIENNE

 

J’aime Mimine, et je veux me marier avec elle. Elle a de grands yeux bleus et des lèvres carmin. De-main, j’irai demander sa main à son père. Enfin la main de ma fiancée, pas celle de son père, qui de toute façon ne me convient pas, celle-ci étant beaucoup trop poilue…

S’il refuse, je ferais des pieds et des mains pour le faire changer d’avis, mais je mettrais ma main à couper qu’il va accepter. Il trouve que sa fille à deux mains gauches et qu’elle est trop maladroite, alors il se frotte les mains de me la refiler. Pourtant c’est elle qui fait la cuisine pour toute la famille, mais cet ingrat n’hésitera pas à mordre la main qui le nourrit. Tant pis pour lui, quand il n’aura plus personne pour lui faire à manger et qu’il viendra se plaindre, je lui dirai : « Si tu as faim, mange ta main, et garde l’autre pour demain ! ». Et s’il n’a plus rien, il pourra toujours jouer aux cartes, il touchera peut-être une bonne main.

J’aime ma fiancée parce qu’elle a la main verte. Ça choque un peu quand on la voit la première fois, mais c’est un joli vert, presque fluorescent.

Elle a aussi de l’or dans les mains, et ça c’est vraiment pratique pour aller faire les courses, je n’ai jamais besoin de mettre la main à la poche.

La première fois qu’elle m’a vu, elle m’a fait un petit signe de la main, et j’ai tout de suite imaginé faire des choses avec elle du genre Jeux de mains, Jeux de vilains. Mais elle préfère rester sage jusqu’au mariage, elle accepte juste qu’on se tienne par la main.

De-main, il fera jour et j’irai la retrouver. Je suis juste un peu inquiet car elle a le cœur sur la main et je devrai faire très attention à ne pas l’écraser quand nous partirons main dans la main.

Evelyne Le Coz

Assurément, rougeurs et lésions cutanées sont synonymes du grand amour. Plus la peau est écarlate, plus l'amour est intense. Le rouge n'est-il d'ailleurs pas la couleur de l'amour ?
Une brûlure au second degré mettant les chairs à nu témoignera d'un amour absolu . Cependant, face à de réelles souffrances physiques nait inévitablement la question :
Comment atténuer l'impact négatif de l'amour sur la santé ?
Sur ce sujet, la majorité des scientifiques s'accordent à penser que la migration des personnes amoureuses vers l'Arctique serait la solution adéquate. Ainsi les températures basses permettraient un meilleur confort face aux agressions thermiques de l'amour.
Cela dit, il est fort probable que cet afflux massif d'êtres humains vers les zones polaires contribue à une accélération de la fonte de la banquise d'où une augmentation du niveau des océans et une réduction de la superficie des continents. On peut alors mieux mesurer l'impact écologique du sentiment amoureux et en déduire que « brûler d'amour » peut à terme mettre en péril la planète et l'humanité toute entière.

 

Valérie Thévenot

Ma petite poule rousse

 

            Qui a osé dire que c'était une poule mouillée ? Le renard qui a tourné en rond comme une poule sans tête, viens poupoule, viens poupoule, il espérait une poule au pot. Rien de tout cela n'arriva.

             Il fallait d'abord disserter sur le sujet : l’œuf ou la poule, qui était là en premier ?

             Pour la poule aux œufs d'or, c'était la poule, une poule de luxe !

            Mais pour la poule sur un mur qui picore du pain dur, c'est la poule d'à côté ou la poule d'en face. On dirait une poule qui a trouvé un couteau, à y regarder de plus près le coq de la basse-cour l’emmènerait bien faire un tour et roule ma poule. Mais la poulette n'est pas dupe, c'est la petite poule rousse.

C D

Ma tantine habite près de chez moi, enfin juste derrière chez moi qui n'est pas vraiment chez moi d'ailleurs car je suis nomade le plus souvent. Tout le temps sur les routes du monde entier, à la recherche du temps qui passe sans se soucier du temps perdu.
Tant qu'à faire, autant se remplir les mirettes d'images multicolores plutôt que de passer son temps derrière les rideaux de sa maisonnette à lorgner à travers les carreaux le modeste jardinet fleuri qui l'agrémente.
Pour autant, il m'arrive de temps en temps d'observer cette petite parcelle depuis la fenêtre de ma chambre aux rideaux écossais. Par temps ensoleillé, j'y contemple les jacinthes sur lesquelles viennent butiner de temps à autre des abeilles égarées. Bulbes précieux mis en terre au mois de mars dernier , confiés en temps et en heure par ma tendre tantine qui habite près de chez moi qui n'est pas tant chez moi d'ailleurs...

Valérie Thévenot

DICTON

 

Mais qu’est ce qui m’a pris d’accepter cette intervention en direct dans cette émission débile à la télé ? Mais qu’est-ce que je fais là ? Ça y est, je transpire, il fait une chaleur à crever sur ce plateau. Ah ! Ça va commencer, on me remet une petite fiche avec le sujet que je dois développer.

 

VOLE UN ŒUF, VIOLE UN BŒUF

 

Qu’est-ce que c’est que ce sujet à la con ? Qu’est-ce que je dis ? Bon, j’improvise…

 

« Alors c’est un très bon sujet, je vous remercie de me le proposer » (gagne du temps, gagne du temps…)

 

« Vole un œuf ? A la vieille question : qui de l’œuf ou de la poule bla bla bla… On peut déjà répondre que pour qu’un œuf vole, il ne le peut qu’en étant dans le ventre de la poule. Oui, mais qui a déjà vu une poule voler ?

 

Bon sang, je rame, ils ont l’air perplexes. Allez, j’enchaine sur le bœuf.

 

« En ce qui concerne le viol d’un bœuf, je ne pourrais que condamner sévèrement toute maltraitance animale. »

 

Ah ! On me dit dans l’oreillette qu’il ne s’agit pas du viol d’un bœuf, mais du vol d’un bœuf (l’assistante écrit très mal). Je ne comprends pas plus la question, car à moins d’avoir quatre grammes d’alcool dans le sang, je n’ai jamais vu non plus un bœuf voler. Bon, j’en ai assez, je me tire :

« Donc je ne saurai pas vous expliquer pourquoi on me pose cette question stupide de savoir qui fait voler un œuf ou un bœuf et comment : je suis agrégé de philosophie, pas ingénieur aéronautique ! »

 

Ah ! On me dit dans l’oreillette que le sujet concernait l’expression QUI VOLE UN ŒUF VOLE UN BŒUF, mais que l’assistante a oublié de noter le premier mot (il faut la virer vite fait, elle n’a décidément pas inventé l’eau chaude)

« Alors effectivement, je maîtrise beaucoup mieux ce sujet que je vais vous développer en 75 points et 3 heures »

Evelyne Le Coz

Défendre l'indéfendable.

 

            C'est une triste chose qui se passe en ville parfois à la campagne. Vous les avez sans doute déjà croisés, évités de justesse voir percutés. Ces pauvres malheureux, ignorants leurs conditions précaires, leurs statuts incertains telles des toupies folles dont on ignore le point de chute.

Ce sont des embrouilles en puissance.

Qui sont-elles ? Des cruches, écouteurs en place, regards fixes, droites comme un i, fières et méprisantes.

Qui sont-ils ? Des lutins facétieux ne respectant pas les codes, l'accoutumance à ce mode de vie, cette forme de liberté cheveux au vent, les coupent de la réalité.

            Pour ces sales gosses, la taloche frappe brutalement au détour d'un trottoir, d'une pauvre bordure, un nid de poule ou contre une voiture, la chute est terrible. Les chirurgiens se frottent les mains, de nouveaux traumas du jamais vus. Les prothésistes vont s'enrichir, la technologie va progresser à grand pas grâce à tous ces accidents de trottinette, vaut mieux une bonne prothèse plutôt qu'une mauvaise réparation.

            Revenons à nos moutons, quelles solutions avons-nous pour sauver ces sales gosses ?

Prescrire des séances d'exercices physiques avec parcimonie dans un premier temps, rééduquer avec 30 minutes de marche quotidiennement. Prévoir des circuits, tous dans le même sens, sans voitures sans piétons, pas de dissonances, des skate-parks pour les trottes, pour les plus cascadeurs et naturellement obligation du port de casque pour en finir avec cette Fake-New qu'ils ont la boite crânienne plus solide qu'une bordure de trottoir.

C D

Une phrase sans fin

 

            J'ai appris l'autre jour, à la photocopieuse avec ma collègue, tu sais celle de mon âge qui va partir en retraite, son mari c'est Jean-Yves, pas Jean-Louis, Jean-Louis c'est le mari de ma collègue qui est partie en retraite il y a deux ans, tu te rappelles que j'ai deux collègues qui partent en retraite cette année, la brune dont le mari s'appelle Jean-Yves et la blonde qui a un an de moins et qui marie sa fille cette année, sa fille se marie avec un jeune qu'elle a rencontré au travail, lui s'était bien juré de ne pas sortir avec une collègue de travail, tant pis c'est arrivé quand même, donc ma collègue prépare la noce, les robes de mariée sont devenues notre sujet de conversation à la pause, mais c'est pas ce que je voulais te dire, ma collègue dont le mari s'appelle Jean-Yves à la photocopieuse m'a montré comment perforer une feuille A4, les deux trous parfaitement centrés pour ranger la feuille dans le classeur, tu te rends compte j'ai ignoré cela pendant des décennies.

C D

Bruits

Bruits

Où l'on écrit en résonnances avec l'exposition Bruits,

à la galerie Interface

Difficile d’écrire la vie ici, dans cet immense chaos.

Tout est détruit. 

Difficile d’écrire la vie ici, dans ce foutu désordre. 

Tout est défait. 

Difficile d’écrire la vie ici, sans toit et sans toi. 

Tout est effondré. 

Difficile d’écrire la vie ici, dans ce paysage en ruine. 

Tout est déconstruit. 

Difficile d’écrire la vie ici, protégée de rien, exposée aux vents et à la froideur de l’hiver. 

Tout est brisé. 

Difficile d’écrire la vie ici, alors que les murs sont tombés et les souvenirs heureux s'en sont allés.

Tout est à reconstruire. 

Allez, il est temps d’écrire une nouvelle histoire.  

Laetitia P

Braves gens, la fin du monde est proche. Vous entendez ces bruits assourdissants ? c’est quoi ?

Le jour baisse. Sourd, je deviens.

Courez, activez-vous cachez-vous !

On ne s’entend plus.

Vite vite

Les racines sortent de terre.

Les lianes nous étranglent.

L’air est étouffant.

Odeur de terre pourrie.

Le brouillard est tombé.

Que se passe -t-il ?

Embourbé, je suis.

L’air me manque.

De la lumière au loin, bien loin.

Mais toujours ce bruitage de tuyau. Je ne reconnais rien. J’ai peur.

Comme de la fumée.

C’est la naissance d’un monde nouveau, la naissance d’un monde meilleur ?...

 

Dominique

Remèdes littéraires

Remèdes littéraires 
Où l'on prescrit des remèdes inédits contre les maux du siècle 

Notice du Médicament Serpentil : boîte de 15 ampoules 10 mg,

Agit sur cette terrible maladie de la vie qu’on nomme : »avaler des couleuvres ».

Avertissement: avant de prendre l’ampoule de Serpentil 10 mg, vous assurer :
⁃ d’avoir coupé l’électricité et de vous situer à au moins 5 m d’une prise électrique,
⁃ d’être seul et avoir éloigné toute personne au comportement douteux, voyant, marabout, voisin envieux, amant éconduit, représentant en casseroles, délégué du conseil syndical,…
⁃ de posséder les coordonnées d’un fakir ou d’un dresseur de reptiles.

Qu’est-ce que Serpentil 10 mg en ampoules cassables par les deux bouts ?
Serpentil 10 mg est un médicament de la classe des anti - venimeux, comportant également un vomitif et une substance aidant à la décontraction de la trachée.
Il doit apporter une aide effective :
⁃ préventive, pour ne pas gober toutes les horreurs, mensonges, affronts débités par vos proches, vos collègues de travail, vos supérieurs hiérarchiques, vos voisins, vos parents, vos cousins, vos enfants, la concierge,…
⁃ thérapeutique, pour digérer les corps froids constricteurs que vous avez hélas avalés d’un trait, en toute naïveté et sans suspicion.

Ne prenez jamais Serpentil 10 mg :
⁃ Si vous avez une grande gueule,
⁃ Si vous avez un estomac de fer,
⁃ Si vous avez une facilité naturelle à vomir et détenez une cage spéciale vivipares pour recracher ces bêtes sordides et à sornettes,
⁃ Si vous voyez des serpents seulement en rêve,
⁃ Si vous êtes en excursion dans la jungle, invité à manger par une tribu de petits hommes en pagne et armés d’arcs et de flèches empoisonnées.

En cas de doute, il est indispensable de vous rendre immédiatement chez le psychiatre le plus proche.

Serpentil 10 mg ne doit pas être pris quand on s’appelle Adam ou Ève, qu’on aime les pommes et qu’on vit dans un jardin d’Eden.

Posologie: une ampoule le soir à prendre directement en bouche en regardant Indiana Jones et la dernière croisade, ou pour les moins de 15 ans, la scène avec le serpent Kaa dans Le livre de la jungle.

La durée du traitement est fonction de la longévité de la personne qui vous fait avaler toutes ces couleuvres.

La dernière date à laquelle cette notice a été révisée est janvier 2020.
Depuis la tendance a été plutôt d’avaler des pangolins.
C’est pourquoi nous vous invitons à vous tourner vers notre nouveau médicament Pangonyl 20 mg, à prendre en cure de 3 mois en restant confiné à votre domicile.

Chantal Mehay

Nuit de la lecture

Nuit de la lecture

Retour de pêche

Fin de criée

Sur le port, personne

 

Si, un homme passe

C’est l’Guss

Il a attendu longtemps ce matin-là !

 

Sauvageon,

Il a attendu le départ de tous, marins, chalands, badauds,

Il a attendu pour ne pas être bousculé ou pris à parti par un gros bras du coin

Un fort

Fort en gueule, surtout, mais parfois violent

 

 

Le quai est nettoyé

Un éclat de lumière attire Guss

Un bijou ?

Un poisson !

Un poisson oublié, quelle aubaine !

Vite saisi

Vite en poche où il tient juste

 

En chemin, Guss le maintient d’une main et lui parle

Des mots reconnaissants.

Il va se faire un festin

Un festin à préparer sans tarder

 

Sur la table de bois, le poisson est couché, éventré

Guss glisse une main dans cette béance

Ça saigne

C’est froid

C’est mou,

C’est gluant

Les viscères se dérobent, s’étalent, giclent

Une riche odeur marine le met en extase

« Voilà pour le bouillon du soir »

Et pour ce midi, Guss prépare le feu avec quelques éclats de cagette bien secs

Puis il passe voir son compère, Gaston, encore endormi sur sa paillasse.

 

 

Aussitôt dit

Aussitôt fait

Le feu crépite, les braises réchauffent une gamelle de fortune où est saisie la chair tendre du poisson.

Partage.

L'Arbrelle

ROBERT

Est-ce qu’un prénom peut influencer toute une vie, toute une personnalité ? Moi, mes parents m’ont appelé Robert. Au départ, ils avaient choisi Kevin, mais mon grand-père paternel ayant eu la riche idée de trépasser 15 jours avant ma naissance, en hommage posthume, j’ai eu droit à ce prénom, qui hélas, n’a jamais été à la mode.

J’ai trainé ce fardeau toute ma scolarité, le pire ayant été le collège. Pour me faire oublier et fuir les harcèlements, je suis devenu tout gris, rabougri, visant l’invisibilité. Pour le coup, j’ai bien réussi : je suis devenu si terne que personne ne me remarque jamais.

La semaine dernière, mon frère m’a secoué : « Enfin Robert, remues toi. Tu ressembles à une endive anémiée. Il faut que tu sortes, que tu rencontres du monde, que tu t’amuses enfin ! »

C’est facile pour lui, les parents l’ont appelé Alexis. Tout lui réussit. Il a confiance en lui. Il est marié et a un fils, et même un boulot sympa, alors que je suis comptable dans une administration poussiéreuse.

Il reprend : « Samedi, je te prête Barnabé, ton neveu, vous irez au parc. Tu verras, il y a plein de mamans sympas au bac à sable. Et mon fils, avec sa bonne bouille, c’est un aimant à filles ! ». Il interpelle ma belle-sœur : « Hé Bénédicte, Robert va conduire Barnabé au parc samedi. Il veut passer du temps avec son neveu. »

« Tu es sûr ? Avec la tête qu’il a, on verra bien que ce n’est pas son fils. Elle ricane. J’aime bien ma belle-sœur, mais parfois, elle est un peu grinçante.

Le samedi, pour faire plaisir à mon frère, je passe prendre mon neveu, vêtu comme d’habitude de mon grand imperméable passe-partout.

En ouvrant la porte, Bénédicte me regarde consternée : « Ah non, Robert, le grand imper, ça ne va pas être possible ! Tiens je te prête un blouson d’Alexis. En plus ça te donne un air cool ».

Je ne vois pas le problème avec mon imper, mais bon, je ne vais pas la contrarier, et c’est vrai que ce blouson me change. Je me sens d’un coup presque beau. Muni d’une multitude de recommandations, je mets Barnabé dans sa poussette et nous partons sous le regard inquiet de sa mère.

Pendant que nous patientons au passage clouté, une vieille dame se penche sur la poussette et fait des gouzi-gouzi à Barnabé, qui, effrayé par sa vielle tête d’oiseau déplumé, se met aussitôt à hurler. Elle se retourne vers moi, me jauge, et me demande d’un ton accusateur si ce petit est à moi. Bêtement je lui dis : « Non, je viens de l’enlever pour le livrer à une secte sataniste cannibale ». Elle devient blême et sans comprendre ma plaisanterie, se précipite vers un duo de policiers qui patrouille à proximité. Le feu passe au vert, et nous fuyons lâchement Barnabé et moi vers le parc.

Nous croisons une joggeuse qui s’arrête et regarde Barnabé avec admiration : « Qu’il est beau ce bébé ! » Elle me regarde en face, et ajoute : « Il n’est pas de vous, n’est-ce pas ? » Sans lui faire remarquer ce que sa répartie peut avoir de vexant pour moi, je lui confirme que non, sans plus m’étendre sur le sujet. Et nous repartons.

 

Arrivé près du bac à sable, j’ai l’impression de pénétrer dans une arène romaine : tous les yeux des personnes assises sur les bancs, se portent sur moi. Ils me jugent, je suis sûr qu’ils me jugent… Je tente un pauvre sourire et un léger bonjour. Seule une dame me répond d’un sec signe de la tête.

J’installe Barnabé sur le sable avec tout son attirail : seau, pelle, râteau, et il commence gaiement à projeter du sable tout autour de lui.

Une dame tout de bleu marine vêtue, avec un foulard et un serre-tête se précipite vers ses enfants, tous vêtus de bleu marine également, et leur crie : « Archibald, Cunégonde, éloignez-vous, cet enfant mal élevé va vous salir ! » Les deux petits clones s’écartent de mon Barnabé, qui s’en fiche, pas perturbé pour autant.

Un homme barbu, avec des lunettes noires, se rapproche et s’assied à côté de moi sur le banc. (tiens, il a le même imperméable que le mien ! Mais il doit le porter sur un short parce qu’on voit ses mollets poilus. C’est vrai que cela lui donne un air un peu bizarre). Il se lèche les lèvres qu’il a très rouges et me demande en désignant Barnabé : « Il est à vous ? » Content que quelqu’un m’adresse la parole, je commence à lui expliquer que c’est mon neveu, quand une jeune fille avec un grand sweat et un jean troué se précipite vers nous et interpelle violement mon voisin : « Dégage vieux dégoutant, je t’ai repéré, file ou je t’éclate la tronche ! «

Je tente de lui expliquer que nous discutions tranquillement, mais elle se retourne vers moi et me crie :

« Vous êtes de la même espèce de salauds comme lui, des types à imperméable qui viennent mater les gamins ? ». Je remercie mentalement ma belle-sœur pour sa prévoyance, même si je ne comprends pas bien ce qu’elles ont toutes contre les imperméables… Mais bon, je n’ai jamais rien compris à la mode de toute façon… Je réponds : »Mais enfin, pas du tout mademoiselle, je suis avec mon neveu, le petit blond, là, juste devant. Barnabé nous fait son grand sourire édenté. Ce qui la calme. Heureusement, parce que tout le monde nous regarde à présent. Elle s’assied à côté de moi. Je la trouve drôlement jolie bien qu’un peu exaltée.

« Je suis baby-sitter pour une famille du quartier ; Je m’occupe du petit brun avec la mèche là-bas ».

Je la regarde, et plus je la regarde, plus je la trouve jolie avec ses cheveux en bataille et ses yeux brillants. Pour me donner une contenance, je fais un petit coucou à Barnabé qui me répond volontiers. Elle me dit : « Il est mignon, il vous ressemble un peu. » Je rougis et bredouille n’importe quoi. Je cherche désespérément quelque chose d’intelligent ou d’amusant à lui dire pour qu’elle reste un peu avec moi. Quand tout à coup elle se redresse brutalement et hurle au petit brun : « Adolf, arrête de taper avec ton râteau sur les autres enfants ! ». Elle se rassied comme si de rien n’était, et me dit :

« Mais qu’elle idée d’appeler son mioche Adolf, ça ne va pas l’aider dans la vie pour sûr. Il y a des parents tarés quand même ! » A propos, je m’appelle Ariane, et vous ?

« Bob, je m’appelle Bob ! ».

Evelyne Le Coz

RÉDEMPTION

 (À la recherche du temps futur)

 

On lui aurait donné le Bon Dieu sans confession.

Et pourtant à peine sorti de l'enfance, au fond il y avait une folie qui ne remontait pas jusqu'à ses yeux azur dans lesquels se noyaient les jeunes femmes.

Il avait des comptes à régler avec elles Toutes, les mères, les sœurs, les filles placées comme lui dans ces institutions déshumanisées, en avait violé une puis une deuxième, en toute impunité jusqu'alors.

 

La troisième le conduisit au musée de la ville.

Elle y était conférencière. Fluette, sa longue chevelure blonde débordait de partout sur ses épaules comme une Ophélie verticale.

Il s'enflamma.

 

Elle commentait avec passion la nature morte de Francisco de Goya « avec des côtes et une tête de mouton » devant un petit groupe attentif.

Le contraste de cette jeune femme si délicatement jolie avec l'œuvre d'un réalisme sanguinolent était saisissant. 

À l'évidence, sa fragilité apparente n'était qu'un leurre. Cela n'allait pas être si simple...

Tandis que son regard concupiscent s'appesantissait sur un morceau de nuque dégagé par deux mèches rebelles, puis suivait la courbure des hanches moulées dans un jean ajusté, son oreille prit le dessus.

La voix était à la fois posée, ferme en même temps qu'envoûtante ; le vocabulaire, précis, l'embarquait malgré lui dans ce tableau, dans cette chair en carnage tandis que son désir irrépressible de la femme s'éloignait.

À travers l'exposition crue de ce corps fragmenté, sans pattes, sans dessous, sans sexe, il voyait la violence, la négation de l'être vivant, sa mort en quelque sorte.

Une odeur métallique s'échappait du cadre.

La barbaque l'étourdissait des cris qu'il n'avait pas pu entendre.

Une fulgurance artistique, un électrochoc psychiatrique.

Derrière ce mouton, il voyait l'agneau, la brebis, la femme sacrifiée sur l'autel de ses pulsions criminelles.

Dans le creux des côtes allongées, l'œil de l'animal sorti de son orbite le fixait, accusateur.

L'écœurement remontait de loin, tout en lui cria « au secours ».

Une femme détourna son regard du tableau, frappée par la pâleur du jeune homme dont le front et les yeux perlaient, la mâchoire se contractait en un rictus qui contrariait sa beauté naturelle.

N'était-il pas pris d'un malaise ? Cette charogne picturale semblait le bouleverser. C'est vrai qu'elle était gore.

Fallait-il intervenir alors qu'elle le sentait si étrange et si peu intégré au groupe ?

Elle n'eut pas le temps de se questionner davantage.

Tandis que les commentaires se poursuivaient, intransigeants, il tourna brusquement les talons et courut vomir ses tripes.

Non, à y voir de plus près, c'était bien pire qu'un malaise, une véritable guerre intérieure en écho à ce massacre qui se jouait là-devant.

 

L'effet cathartique de cette peinture disséquée par cette jeune conférencière qui y mettait tant de ferveur fut si violent qu'il resta des semaines durant, prostré, secoué par moments de sanglots torrentiels sans pour autant épuiser toute la culpabilité qui désormais le consumait.

Il lui fallait quitter ce corps infâme, retrouver une dignité pour pouvoir payer sa dette, espérer le pardon de ses deux victimes.

 

Il partirait loin, au Mexique, sur les traces d'autres peintures, d'autres couleurs.

Il apprendrait le soleil et l'espoir et la force vitale.

 

Et reviendrait...

M D

Le petit...

Tout seul abandonné dans l'herbe mouillée, que fait-il là ? Ce petit bonheur triste et gelé.

Il a dû être abandonné de bonne heure ce petit bonheur triste et gelé.

Quel malheur est donc arrivé à ce petit bonheur triste et gelé ? Il ne faut pas avoir de cœur pour négliger un petit bonheur triste et gelé.

Je me suis penché vers lui sans oser le toucher. Il tremblait de froid ce petit bonheur triste et gelé. Doucement j'ai approché ma main, il était si faible qu'il n'a pas pu reculer. Je sentais la peur de ce petit bonheur triste et gelé. J'ai pris mon courage à deux mains. Je l'ai enfoui dans la poche fraiche de mon grand manteau, il aura toujours plus chaud ce petit bonheur triste et gelé, nerveusement, j'ai remis la main dans la poche de mon grand manteau me rappelant qu'elle était percée. Il était toujours là ce petit bonheur triste et gelé. Il semblait avoir moins froid, mais j'ai senti couler ses larmes sur ma main. Toujours déprimé ce petit bonheur triste et réchauffé.

Arrivé dans ma demeure, j'ai posé le petit bonheur triste et réchauffé au creux de mon vieux fauteuil. Le lendemain, Je l'ai retrouvé, il n'avait pas bougé, toujours blotti où je l'avais laissé. Mais quelque chose avait changé, de mon petit bonheur la joie avait chassé la tristesse. Alors, je l'ai gardé mon petit bonheur joyeux et réchauffé.

 

Philippe

Il y a une enveloppe, là, posée sur le tissu usé de la banquette. On a posé ou oublié l'enveloppe étalée maintenant sur le tissu. 

Elle ne bouge pas, elle occupe le regard. 

Elle est là, au format rectangulaire, habituel, sur le ventre ou sur le dos, elle ne porte  pas d'inscription. Elle est blanche, vierge de tout signe quelconque. 

Elle a pris sa place sur le tissu de la banquette, rien qu'en la voyant, elle suscite un  questionnement. 

Pourtant, à mieux regarder, on a une enveloppe blanche occupant une petite partie de  la banquette, la simple surface d'une enveloppe qui a été proprement décachetée. Ouverte par un scalpel minutieux ou une fine lame de couteau. Un geste calme  laissant un liseré régulier de minuscules échancrures sur toute sa longueur d'effraction. Ainsi on a une enveloppe déposée, oubliée ou échappée d'une poche, d'un sac. Une  énigme peut être sans prétention exposée sur le tissu de la banquette légèrement enfoncée. Il y a eu un souffle quand la porte du compartiment s'est ouverte puis refermée. C'est pourquoi l'air s'est juste infiltré dans son ventre à peine accessible, à peine gonflé une seconde avant de s'aplatir à nouveau. Un air expulsé aussitôt par sa face visible et sa face cachée, en dessous tout contre le tissu. L'enveloppe s'est un peu soulevée aussi, puis a repris sa place au milieu de la banquette sur le tissu usé par tant d'occupants avant elle. 

L'enveloppe occupe l'espace du compartiment par sa seule présence, attire les yeux, fait froncer les sourcils, attise la curiosité. Elle est simplement là, voyage sans bouger, allongée sur  le tissu de la banquette, au milieu de ce siège tout surpris de supporter ce rectangle blanc immobile. On a envie de la mettre sur le côté, de la protéger. On a envie de la prendre délicatement, de la remettre à son propriétaire ou à son destinataire. Mais non, elle est là, comme  sûre d'elle, défiant tout geste qui la ferait se déplacer. Elle attend, sans impatience, étendue de tout son long, à la fois légère et pesante sur le tissu usé avec lequel elle fait maintenant corps. Entêtée, provocatrice, par son humble dépôt, elle semble même s'agrandir, ou faire rétrécir la banquette au tissu usé. 

L'enveloppe, qui est couchée, calme, presque impériale est tout simplement là,  montrant sa fine ouverture aux échancrures régulières. Le temps du courant d'air, une fraction de  seconde, la pliure d'un feuillet est apparue dans l'interstice créé par une lame délicate. Ainsi  l'enveloppe a laissé échapper son secret. Peut-être malgré elle. Elle qui ne bronche pas, qui trône au  milieu de la banquette au tissu usé. Elle a un secret, elle renferme quelque chose qu'elle-même ne  peut identifier. Elle, elle est juste là, ne sachant pas pourquoi elle se trouve là, comment elle est  arrivée là. 

On a un mystère avec ce feuillet contenant peut être une inscription, ce feuillet plié,  presque absorbé, retenu, caché par l'enveloppe figée, comme collée au tissu de la banquette laissée  libre par cette présence absolue, intouchable. 

Il y a donc comme un tableau représentant une enveloppe nue, épanouie, éternisée  sur un tissu au dessin élimé au milieu d'une banquette. Une image inoubliable, fixée, mémorisée, soigneusement enveloppée dans un train imaginaire.

Jean-Pierre

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